En se penchant sur certains épisodes de l’histoire de la peinture, il apparaît souvent que les artistes entretiennent un rapport particulier avec la lumière. Cette observation m’a poussé à créer des séries de peintures, que j’ai réunies dans le projet artistique Nuit Synthétique.
Voici quelques exemples issus de l’histoire de la peinture, qui permettront d’éclairer cette relation privilégiée qu’entretiennent les artistes avec la lumière, et que j’ai décidé à ma façon de prolonger.
[accordions] [accordion title= »En savoir plus » load= »hide »]Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes, T IV (1685), p.159[/accordion] [/accordions]« Il touchait parfaitement toutes sortes d’arbres, et en exprimait les différences et l’agitation ; disposait les terrasses d’une manière naturelle, mais bien choisie ; donnait de la fraîcheur aux eaux qu’il embellissait des reflets des objets voisins ; ornait les campagnes et les collines de villes ou de fabriques bien entendues, diminuant les choses les plus éloignées avec une entente merveilleuse ; et pour donner ce précieux que l’on voit dans ses ouvrages, faisait naître des accidents de jours et d’ombres par des rencontres de nuages et par des vapeurs ou des exhalaisons élevées en l’air dont il savait parfaitement faire les différences de celles du matin et celles du soir. » André Félibien

« La douleur d’un homme est aussi intéressante à nos yeux que la douleur d’une lampe électrique qui souffre avec les sursauts spasmodiques et crie avec les plus déchirantes expressions de la couleur. L’harmonie des lignes et des plis d’un costume contemporain exerce sur notre sensibilité la même puissance émouvante et symbolique que le nu exerçait sur la sensibilité des Anciens. […] Comment peut-on voir encore rose le visage humain, alors que notre vie, dédoublée par le noctambulisme, a multiplié notre perception de coloristes ? Le visage humain est jaune, rouge, vert, bleu, violet. La pâleur d’une femme qui contemple la devanture d’un bijoutier a une irisation plus intense que les feux prismatiques des bijoux dont elle est l’alouette fascinée. » Manifeste des peintres futuristes, Umberto Boccioni, Carlo Carrà, Luigi Russolo, Giacomo Balla, Gino Severini, 1910
Gerhard Richter, ou quand la photographie fait naître la peinture : cliquer ici pour voir l’image.
Soixante ans plus tard et après deux guerres mondiales, le rapport des artistes avec la lumière s’est encore modifié. On peut voir dans le processus de fabrication de l’image de certains peintres que ce n’est plus une composition, un croquis ou un dessin qui fait naître la peinture. C’est plutôt la photographie. Son arrivée dans les arts plastiques a bouleversé le quotidien du peintre qui peut choisir de faire tel ou tel tableau en pressant un bouton. De là naît une forme d’indifférence (3) vis-à-vis de l’image, pour ce qui s’y passe dedans, mais aussi avec la lumière qui s’imprime sur la pellicule :
« Mais j’ai un problème avec le terme de “lumière”. Je n’ai jamais su quoi en faire. Je sais que certaines personnes ont mentionné à plusieurs occasions que “Richter n’est que lumière”, et que “les tableaux ont une lumière spéciale”, et je n’ai jamais su de quoi ils parlaient. Je n’ai jamais été intéressé par la lumière. La lumière est, que vous l’allumiez ou que vous l’éteigniez, avec ou sans soleil. Je ne sais pas où réside “la problématique de la lumière”. Je la prends comme la métaphore d’une qualité différente, qui est similairement difficile à décrire. Bien. » MoMA Interview with Robert Storr, 2002.

« Devons-nous compter les ustensiles de ce capharnaüm parmi les habitants de Paris ? En partie, puisqu’ils anticipent tous le comportement d’habitants génériques et anonymes auxquels ils font faire, par anticipation, un certain nombre d’actions. Chacun de ces humbles objets, sanisette ou corbeille, corset d’arbre ou plaque de rue, cabine téléphonique ou panneau lumineux, se fait une certaine idée des Parisiens auxquels il fait parvenir, par la couleur ou par la forme, par l’habitude ou par la force, une injonction particulière, une assignation propre, une autorisation ou une interdiction, une promesse ou une permission. » Bruno Latour (4)
Cette lumière véhicule maintenant de l’information, régulant les flux et les mouvements de ses habitants. Elle devient le support principal de mon exploration artistique lorsque je la fixe sur un support numérique grâce à mon appareil photographique.
(2) Voir, Claude Frontisi, Les assassins du clair de lune, Les Cahiers de Médiologie, n°10, 2000
(3) Voir Jean-François Chevrier, « Gerhard Richter, peintre-photographe », 1993, in Entre les beaux-arts et les médias : photographie et art moderne, L’Arachnéen, 2010, p.91
(4) Voir, Bruno Latour & Émilie Hermant, Paris ville invisible, La Découverte, 1998, p.91
4 réponses
Hello, par essence, un artiste travaille la lumière puisque sans lumière, il n y a pas de couleur 🙂
Bonjour ABK, je suis d’accord avec vous à ce sujet pour les peintres, mais l’idée de l’article était de présenter des artistes chez qui c’était une véritable intention plastique, pour ne pas dire un programme. Ce qui change beaucoup la façon de peindre tout de même. C’est pour cette raison que leur propre propos sur le sujet est important. Il faut aussi noter que pour d’autres peintres comme Gerhard Richter la question est anecdotique et que cela ne les préoccupe pas du tout.
Article super intéressant. En plus, j’aime beaucoup vos aquarelles que je trouve très cinématographiques… un peu lynchiennes, si vous voyez ce que je veux dire. En tout cas, elles nous embarquent dans un autre univers et c’est bien tout l’intérêt de l’art.
Bonjour Pierre, effectivement on peut voir des lumières qui s’en approchent. Je connais bien les films de Lynch et j’ai pu voir plusieurs fois Lost Higway, Mulholland Drive… Je crois que nous partageons tout les deux le même intérêt pour les œuvres nocturnes d’Edward Hopper.