Potosi. Eldorado des conquistadors. Enfer des Amérindiens. L’ancienne cité opulente, à qui l’Europe doit tant, est désormais une ville pauvre de Bolivie.


Plus on approche de la ville, plus la terre apparaît, pelée et rougeâtre, semblable à de la rouille. Puis la ville minière apparaît, au pied du Cerro Rico [la « montagne riche », en français, N.D.R.]. À part quelques historiens et quelques aficionados de l’Amérique du sud, qui connaît encore le nom de Potosi sur notre Vieux Continent ? Et pourtant. Sans Potosi et ses richesses, l’Europe ne serait pas ce qu’elle est.
LA BELLE MONTAGNE
Il n’est pas un livre d’histoire de l’Amérique du sud qui ne consacre au moins un chapitre à la perle de l’empire colonial espagnol. Celle que Charles Quint consacra Ville impériale et à laquelle il octroya cet écusson : « Je suis la riche Potosi, du monde je suis le trésor, je suis la reine des montagnes et je suis enviée des rois. »
CITÉ OPULENTE
Un peu moins d’un siècle plus tard, en 1545, arrivèrent « ceux de l’au-delà », sous la bannière espagnole. Ils puisèrent amplement dans les entrailles de celle qui devint alors la Montagne Riche. Le Cerro Rico fut ainsi pendant longtemps « le nerf principal du royaume » hispanique, selon l’expression du vice-roi Hurtado de Mendoza.
Rapidement, c’est à Potosi que seront fondues les pièces de monnaies américaines à l’effigie des rois d’Espagne. La ville compte 120 000 habitants en 1575. Autant que Londres et plus que Séville, Rome ou Paris. En 1650, ils seront plus de 160 000. Faisant ainsi de l’agglomération l’une des plus grandes villes du monde.
« C’EST POTOSI ! »
Après la victoire de Pizarro sur l’Empire Inca, « C’est le Pérou ! » avait remplacé l’expression « C’est Byzance ! » comme éloge suprême. Mais avec la découverte du Cerro Rico, Cervantès change un terme à l’expression et Don Quichotte lance désormais à Sancho : « C’est Potosi ! ». La formule deviendra une expression idiomatique de la langue espagnole, encore utilisée de nos jours.
Mais le lustre de la ville va pâtir des 5 000 galeries qui seront forées dans la Montagne. Selon Galeano, celle-ci a changé de teinte au fil des tires de dynamite qui l’ont fait s’allonger et ont diminué le niveau de son sommet. Les tas de roches, accumulés autour des multiples trous, sont de toutes les couleurs : rosés, lilas, pourpres, gris dorés, bruns ».
NAISSANCE DU CAPITALISME
Ce paradis des conquistadors est aussi l’enfer des peuples autochtones, déportés dans les boyaux du Cerro Rico et dont la plupart ne ressortiront jamais. Est-ce seulement possible d’imaginer ce qu’était le travail d’un « Indien » dans les mines d’argent du Cerro Rico, à plus de 4 000 mètres d’altitude ? Au début du 17e siècle, le gouverneur Juan de Solórzano commanda une enquête sur les conditions de travail dans les mines de mercure – utilisé dans le processus d’extraction de l’argent – du Pérou. Il écrira au Conseil des Indes que « le venin pénètre dans la moelle même, affaiblissant tous les membres et provoquant un tremblement constant, tuant en général les ouvriers dans un espace de quatre ans ».
Car les viscères de la Montagne riche ont alimenté substantiellement le développement de l’Europe. C’est à cette époque qu’apparaissent d’ailleurs les grands noms de la piraterie, attirés par les richesses fabuleuses en provenance de l’Amérique. Le capitalisme commençait à prendre forme.
UNE ACCUSATION
Favorisant les investissements et « l’esprit d’entreprise », cette gigantesque masse de capitaux finança directement les manufactures qui permirent la révolution industrielle. Mais en même temps, ces pillages empêchèrent les Andes dépouillées d’accumuler le capital nécessaire aux débuts de leur industrialisation.
« De nos jours, Potosí est une pauvre ville de la pauvre Bolivie, poursuit Galeano : « La cité qui a le plus donné au monde est celle qui a le moins (…). Cette ville condamnée à la nostalgie, tourmentée par la misère et le froid, est encore une blessure ouverte du système colonial en Amérique : une accusation. Le monde devrait commencer par lui demander pardon ».
LE POIDS DU PASSÉ
Dans le bus qui m’emporte loin de l’ancienne ville impériale, il y a un autre Européen. Espagnol. Sociable, il échange avec son voisin de siège, âgé d’une trentaine d’années. Bolivien, comme le reste des passagers. Il est marié, il a des enfants. Répondant à l’Espagnol qui lui demande quel était son travail, il déclare simplement : mineur.
Avec ce mot, tout le poids du si lourd passé de Potosí ressurgit avec une violence incroyable. Certes, cet homme ne va pas dans la mine pour la richesse de l’empereur d’Espagne. Mais, s’il va aujourd’hui, au 21e siècle, s’enterrer dans ces boyaux, s’est encore pour assurer le « progrès » d’autres pays, le niveau de vie d’autres individus.
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