Convergence des luttes entre artistes précaires et migrants dans un immeuble au 210 rue Saint-Denis. Récit d’un squat d’utilité publique, qui aura fait rêver pendant un mois.


Cet immeuble de 950 mètres carrés, proche du métro Strasbourg-Saint-Denis, et qui était vide de toute occupation depuis plusieurs mois, a été squatté par un collectif, « le collectif 210 », qui rassemble plusieurs composantes. À l’origine du projet, on retrouve des artistes-squatteurs chevronnés : Kevin Seeds, ouvreur de nombreux squats d’artistes à Paris – notamment Les Petites Maisons, la Friche Netter et autres –, mais aussi l’auteur de ces lignes [Gaspard Delanoë, ouvreur du 59 Rivoli, N.D.L.R.], ainsi que Sampsa, artiste urbain, surnommé le Banksy finlandais et quelques autres. Deux associations sont également mêlées à cette action : United Migrants qui accompagne les sans-papiers et demandeurs d’asile, et Artist at Risk, proche des artistes persécutés dans leur pays pour des raisons politiques.
LE MÊME REFRAIN
En décembre dernier, quelques heures seulement après avoir rendu publique leur occupation, les artistes du « collectif 210 » reçurent la visite de la directrice générale de Paris Habitat, outrée, qui leur demanda de rendre l’immeuble sous une huitaine de jours, arguant du fait qu’un projet de transformation de cet immeuble en centre d’hébergement d’urgence pour les familles en attente de relogement était à l’œuvre, et que des travaux de rénovation confiés à l’association AMLI devaient démarrer sous peu.
RÉCOLTER DES FONDS
Des négociations permirent finalement au collectif 210 de rester dans les lieux jusqu’au 15 janvier 2022. Ayant alors un mois devant eux, les artistes du collectif ont ouvert les portes de l’immeuble à de nombreux graffeurs (Team, Lask, Shore, Zoller, Yellow, Kraco, Réa, Share), le but étant d’organiser une exposition dans tout le lieu, à partir du 23 décembre et de récolter des fonds pour les associations partenaires du projet.
Un incroyable collage fut rapidement apposé sur la vitrine du lieu, au rez-de-chaussée, qui donne sur la rue Saint-Denis. Œuvre de l’artiste Ernesto Novo, il a été pris en photo des centaines de fois.
C’est précisément cette indifférence que ce collage d’Ernesto Novo essaie de briser, tout comme l’action générale du collectif 210 braque le projecteur sur cette réalité que nous peinons à voir : la détresse de tous ces migrants.
ZONE D’AUTONOMIE TEMPORAIRE
Menée avec les moyens du bord, c’est-à-dire sans rien financièrement, cette action militante du collectif 210 a peu de chances de se poursuivre au-delà du 15 janvier, date à laquelle les artistes se sont engagés à rendre le lieu. Mais peut-être auront-ils réussi, l’espace de quelques semaines, à faire entendre un cri dans Paris, le cri des naufragés et de tous les laissés pour compte ?
Quoi qu’il en soit, avec un mois d’existence, le 210 rue Saint-Denis aura constitué un exemple parfait de ZAT (Zone d’Autonomie Temporaire), un concept forgé par l’anarchiste américain Hakim Bey, qui écrivait en 1985 : « La TAZ est une opération de guérilla qui libère une zone, puis se dissout pour se reformer ailleurs dans le temps. »
Et de fait, en s’emparant de cet immeuble, le trio d’ouvreurs Sampsa, Kevin Seeds et Gaspard Delanoë aura permis que des street artistes s’expriment librement in situ et que des réfugiés trouvent un toit, toutes les nuits en plein cœur de l’hiver.
RISQUES INSENSÉS
De plus, en s’installant illégalement dans le bâtiment, le collectif 210 aura, paradoxalement, permis d’accélérer la procédure de rénovation de l’immeuble. En effet, après la révélation par la presse de cette initiative, le dossier du 210 qui s’était perdu depuis plusieurs mois dans les méandres administratifs a été mystérieusement remonté en haut de la pile et les crédits de la rénovation soudain « dégelés ».
Le lieu ayant vocation à devenir un centre d’hébergement d’urgence, on pourra donc féliciter les artistes-squatteurs d’avoir, par leur action, déclenché le processus de sa mise à disposition.
Il faut espérer que très vite, d’autres actions similaires se mettent en place et bousculent l’inertie lamentable de certains propriétaires et responsables politiques face au scandale des immeubles vides dans Paris.
Il est cependant regrettable que des artistes, la plupart du temps précaires, en soient réduits à prendre des risques insensés pour faire bouger les choses. Faut-il nécessairement rentrer dans l’illégalité si l’on veut changer le monde ?
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